XIXe-XXIe siècles
-
L’œuvre d’Antonin Artaud donne à lire sinon la cohérence, du moins la permanence et l'urgence vitale de la quête énonciative qui impulse son écriture si profuse, et en apparence si hétéroclite. C’est en effet le mode de structuration psychotique de la personnalité d’Antonin Artaud qui module et dynamise les variations si spécifiques de son énonciation. En repérant dans chacun de ses textes la spécificité de l'agencement et de la dissolution des signes, ce livre tente de comprendre comment et pourquoi ce même auteur a pu écrire, à des époques très diverses de son existence et dans des conditions énonciatives extrêmement variées, tantôt des textes qualifiés de pathologiques et d'illisibles, tantôt des textes reconnus comme uvres littéraires.
L'aventure de l'écrivain a ceci d'extraordinaire qu'elle a été vécue à la fois dans et contre le langage. Avec une lucidité aussi cruelle que remarquable, et au prix d'innommables suppliciations, Antonin Artaud pointe un éclaiage intransigeant sur les leurres et l'imposture qui sous-tendent non seulement son propre discours, mais toute prise de parole, toute énonciation ...
-
Les Hommes de bonne volonté: malgré son irrésistible fonction d’appel, le titre déçoit, d’emblée. Face aux désordres et aux conflits d’un monde soumis aux cataclysmes de l’Histoire, il oppose une bien pâle vertu évangélique. Un renoncement, voire une défaite, s’inscrivent en filigrane dès l’ouverture de ce gigantesque roman dans lequel, au rebours du titre, le mal, omniprésent, s’exhibe au sein des familles comme au sein des groupes, des bandes et des sociétés secrètes. Ses formes les plus exacerbées, telles les perversions, annexent même la totalité de certains volumes, pendant que l’énigmatique Quinette, double de Landru et figure emblématique du mal, érige l’assassinat au rang de discipline intellectuelle. Les représentants de la bonne volonté assistent en spectateurs impuissants au sabbat de l’abîme, avant de tourner le dos à un monde incurable qu’ils n’espèrent plus rédimer. Le présent ouvrage a l’ambition d’évaluer les stratégies scripturales complexes mises en œuvre par l’auteur pour accréditer cette représentation fascinée du mal, et consistant en de subtils compromis avec la figure redoutable du père, le véritable manipulateur de cette machinerie du mal, caché dans les coulisses de ce vaste théâtre que sont Les Hommes de bonne volonté.
-
Né en 1719 sous la plume de Daniel Defoe, Robinson Crusoé a engendré depuis lors une innombrable postérité. Le naufragé solitaire est en effet à l'origine d'un véritable mythe, dont les littératures de la seconde moitié du XXe siècle ont su se saisir pour le transformer. Mythe moderne par excellence, puisqu'il affirme chez Defoe l'émergence du sujet de la modernité, Robinson est devenu, depuis les robinsonnades de William Golding, prétexte à une remise en cause de l'individu, à une interrogation générale sur le sens, et à une réflexion sur le mythe lui-même. Curieux paradoxe : la critique du mythe de Robinson s'opère dans des romans qui le réécrivent en en constituant de nouvelles versions. D'où une question centrale : de Golding à Coetzee, en passant par Tournier, notre époque ne s'ingénie-t-elle pas à prononcer le deuil de la modernité sur les lieux mêmes de sa naissance, dans le récit même par laquelle celle-ci s'annonçait au monde ?
-